Le rosé de mai : après-midi dégustation

« Eh, il paraît qu’il y a une dégustation de rosé toute le journée de demain à Jirího z Poděbrad !
– de rosé… de rosé tchèque ???
– Oui, apparemment…
– Tu déconnes ! »

Il ne déconnait pas. Un radieux après-midi de mai a bien été consacré à une dégustation de rosé de production tchèque, et il était hors de question pour moi de manquer l’événement. J’ai pris ça comme un petit rattrapage pour mes absences répétées à la Saint Vincent pendant ma scolarité dijonnaise. Mais le plus important dans cet événement, c’est bien la couleur du vin : les Tchèques ne sont pas réputés pour la qualité de leurs vins rouges et rosés. Seul le blanc commence à se faire une petite renommée. D’après ce que je sais, les Tchèques avaient un véritable savoir-faire viticole, back in the days, mais les communistes sont arrivés avec leurs grandes idées sur la production et l’agriculture et tout ce savoir-faire a été enterré sous des montagnes d’absurdités. Mais la fibre viticole n’a pas disparu partout et quelques irréductibles ont réussi à faire reprendre la production. Y compris celle de rosé, comme j’ai pu m’en rendre compte avec délectation.

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C’est quelque chose que j’aime en République tchèque : cette propension des habitants a organiser des fêtes et des rassemblements pour tout et n’importe quoi, y compris dans la capitale. Loin des marchés pour touristes, des hommes peints en blanc ou doré qui prennent la pose pour glaner quelques pièces ou de ceux, pire, qui achètent des flûtes à bec en plastiques et nous cassent les oreilles à chaque coin de rue, même à Prague on peut trouver des réunions festives dans une ambiance familiale et tout ce qu’il y a de plus tchèque. La journée du rosé de mai fait partie de ces moments où les Praguois se retrouvent pour passer un bon moment, à faire l’une des choses pour laquelle ils sont particulièrement doués : picoler. Et nous étions là pour les accompagner. Je veux dire, pour tremper nos lèvres dans quelques échantillons, avec circonspection et parcimonie.

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Jiřího z Poděbrad, l’une des plus grandes places de Prague sur laquelle ont souvent lieu des événements importants de la vie de la capitale. Par exemple des concerts comme celui organisé en soutien à la campagne de Karel Schwarzenberg pour la présidence (ici). Ou la fête du rosé de mai : quel meilleur endroit pour boire du vin que le parvis d’une église ? La fête se présente sous la forme d’un ensemble de petites cabanes et de tentes : les cabanes pour le vin, les tentes pour les vêtements hippies et la nourriture. Sans oublier la musique, des rythmes jazz et swing qui s’échappent d’un chapiteau blanc, accompagnés de rires tonitruants et des effluves de la bière restée trop longtemps au soleil qui coule à flot dans les gobelets en plastique. Il y avait même un souffleur de verre qui reproduisait inlassablement la démonstration de son art Cabane n°1 : achat d’un verre de dégustation (pour deux, on reste raisonnables), du petit carnet de notes et du stylo qui nous permettront de nous rappeler quels vins acheter lors de notre prochaine virée au Tesco.

DSCN1060Nous sommes loin d’être les seules à déambuler entre les stands. Des groupes d’amis sont venus acheter des bouteilles entières qu’ils boivent, allongés sur les pelouses à l’ombre des arbres qui ont enfin retrouvé leurs feuilles. Des gamins courent à droite et à gauche, en attendant que leurs parents aux joues rosissantes se décident à lâcher leur verre pour aller leur acheter une glace. Même les femmes enceintes sont là, une paille dans la bouche qui les relie à une canette d’Ice tea et les yeux qui ne peuvent s’empêcher de regarder avec envie les bouteilles de vin alignées sur les comptoirs. « Un petit verre, c’est rien ! » dit l’une d’elle, sûrement pas la première à craquer. Et bien sûr : que serait un rassemblement populaire tchèque sans son lot d’exhibitions de chaussettes dans les sandales ?

DSCN1055C’est qu’il est bon ce rosé tchèque, contre toute attente. Enfin, pour qu’ils en fassent un rassemblement officiel ont pouvait imaginer qu’il s’agirait quoi qu’il arrive de bonnes bouteilles, mais je reconnais avoir été agréablement surprise par la qualité et surtout la variété des vins présentés. En tout vingt maisons de vin étaient venues présenter leurs cuvées de ces deux ou trois dernières années. Beaucoup de petites maisons familiales, quelques vignobles plus important et diversifiés… Des rosés secs, des sucrés, des demi-sec, des un peu sucrés, des pétillants, des roses comme de la grenadine, des dorés… A ne plus savoir ou donner de la tête ! Surtout quand c’est le septième verre dont les effets, bien que divisés par le partage du verre, sont amplifiés par les rayons d’un soleil tenace qui a bien choisi le meilleur jour pour faire son grand retour.

18h : les stands de vin commencent à remballer et les passants se rabattent sur les derniers litres de bière pression encore disponibles. Sous la grande tente, un groupe continue de faire danser quelques couples sur de vieux standards de swing. Une chanteuse attrape le micro et entame une reprise jazzy de Zaz dans un français phonétique. Assises sur un muret, nous regardons un père jouer à arroser son fils avec les jets de la fontaine. Il éclate de rire, alors que sa progéniture fronce les sourcils et cherche sa mère du regard. Les dernières gouttes de rosé de notre verre disparaissent et nous partons à l’autre bout de la ville, à Letna pour prendre un verre, allongés sur les pelouses encore ensoleillées – un verre de jus de pomme, faut pas pousser.

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