Les Tchèques, les vitrines et la publicité

Quand je suis arrivée en République tchèque, l’une des premières choses qui m’a frappée c’est leur absence de talent en matière de marketing et de promotion. Entre les « Shreks » qui se promènent en peignoir dans la rue pour faire la promotion des centre de massages taï, les publicités pour les banques et les opérateurs téléphoniques, ou encore les vitrines des magasins, il y a de quoi se demander où ils recrutent leurs conseillers en communication. Et puis après on voit le président à une cérémonie officielle portant un costume rayé et une cravate couverte de sortes de pois et on se dit que, définitivement, c’est culturel.

"le retro c'est bien, mais pas dans le système bancaire" - campagne de publicité pour la ban que en ligne Zuno

« le retro c’est bien, mais pas dans le système bancaire » – campagne de publicité pour la ban que en ligne Zuno

En fait quand on apprend à les connaître, on découvre chez les Tchèques un incroyable sens de l’humour et de la dérision. ça vient peut-être de toutes ces fois dans l’histoire où ils se sont fait écraser. Ils sont très cyniques aussi, c’est flagrant dans la littérature – je recommande au passage Miracle en Bohême de Josef Škvorecký. Mais bon, ça n’excuse pas tout.

mucha_biscuits-luCependant, et j’y pense après avoir lu tous ces articles sur le « coup de gueule » des graphistes français relayé par Télérama, la République tchèque n’a pas  à rougir de son histoire en matière de publicité et de graphisme. Et en a beaucoup donné à la France qui tourne actuellement le dos à cet héritage artistique. J’ai visité la semaine dernière l’exposition Alfons Mucha par Ivan Lendl à la maison municipale de Prague. En fait le tennisman retraité a acquis un jour et un peu par hasard l’une des premières peintures de Mucha, l’a montré à un connaisseur et a décidé d’acheter toutes les œuvres originales possibles de Mucha. 122 au total, exposé en ce moment à Prague. Parmi les affiches et les maquettes d’emballages, beaucoup de français : les Bières de la Meuse, les biscuits Lefèvre-Utile, les affiches des spectacles de Sarah Bernhardt… Il a passé près de 20 années en France à développer l’art nouveau à travers, entre autre, la publicité. Et avec un tel héritage, à Paris on voit des publicités pour louer des voitures avec un type à poil dont les attributs sont dissimulés par un petit panneau avec le slogan « plus bas ce serait indécent ».

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Et pendant qu’à Versailles et Saint-Cloud on s’offusque devant une affiche peinte où deux hommes s’embrassent, à Prague le cinéma Světozor expose les affiches de Kaja Saudek, un dessinateur tchèques qui s’est fait connaître surtout dans les années 60 avec sa participation au cinéma de la Nouvelle vague et à des films cultes tels que Qui veut tuer Jessie ? et Quatre meurtres suffisent, chérie. Dans l’article de Télérama on parlait de la disparition de la culture graphique en France, de la culture de l’image. Ici, on s’en souvient encore. Pareil dans la publicité, on trouve encore de la recherche graphique, de la réflexion sur les symboles et la culture du public. Pour preuve – c’est ce qui m’a donné, après l’exposition Mucha, envie d’écrire cet article – ce spot publicitaire vu au cinéma pour Messenger, un service de coursier qui travaille entre autres avec les cinémas pour livrer les bobines et les DCP.

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babovreskyOn peut dire ce qu’on veut sur le bon goût tchèque (ou l’absence de), mais en attendant eux font encore preuve d’audace et de créativité dans leurs campagnes publicitaires et leur communication. Ici l’argument de vente n’est pas toujours et inlassablement rapporté au sexe avec une subtilité de plus en plus douteuse. Ici on se souvient encore du temps où les affiches de films ne se contentaient pas de mettre en scène un cataclysme naturel et un Apollon bodybuildé/une Vénus héroïque la bouches sensuellement entrouverte. D’ailleurs en République tchèque on préfère encore les bonnes vielles comédies nationales et campagnardes aux bluckbusters internationaux et sans substance : Babovřesky a largement battu cette année toutes les grosses productions américaines.

Non mais.

Pour en savoir plus :

– Exposition Alfons Mucha http://mediaczech.net/2013/05/10/alfons-mucha-a-lhonneur-a-prague/

– Kaja Saudek et compagnie, exposition au DOX à Prague : http://www.radio.cz/fr/rubrique/culture/la-bande-dessinee-tcheque-90-ans-dhistoire-au-centre-dartcontemporain-dox

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